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Indemnité d’éviction : aspects juridiques et fiscaux

Date de mise à jour : 30/06/2022 Date de vérification le : 30/06/2022 19 minutes

Le bailleur est en droit de refuser de renouveler le bail commercial à son locataire, mais il doit alors verser à ce dernier une indemnité d’éviction. Cette indemnité comporte des conséquences juridiques et fiscales qu’il vous faut connaître. Explications.

Rédigé par l'équipe WebLex. En collaboration avec Marie Caderon, juriste spécialisée en droit des affaires.
Indemnité d’éviction : aspects juridiques et fiscaux

Indemnité d’éviction : aspect juridique

Une indemnité d’éviction obligatoire ? Lorsqu’il refuse de renouveler le bail commercial à son locataire, le bailleur doit, par principe, lui verser une indemnité d’éviction. Mais il lui est possible de refuser de la verser. Pour justifier son refus, il doit invoquer un motif prévu par la Loi.

En cas de versement de l’indemnité d’éviction. Par principe, l'indemnité d'éviction doit englober l'intégralité du préjudice causé par le défaut de renouvellement au profit du locataire.

Prévoir une somme forfaitaire ? C’est l'ensemble du préjudice qui doit être pris en compte : le bailleur n’a donc pas le droit de proposer une somme forfaitaire.

Tenir compte de la perte de clientèle. Pour déterminer le montant de l’indemnisation du dommage subi par le locataire, il faut tenir compte de la disparition de la clientèle attachée au fonds de commerce, le cas échéant. Si l’éviction entraîne la disparition pure et simple du fonds (perte totale de la clientèle), l’indemnité doit correspondre à la valeur de remplacement du fonds.

Indemnité de déplacement. Si l'exploitation du fonds peut se poursuivre dans des locaux équivalents, parce que la clientèle est attachée au locataire, c'est une indemnité de déplacement qui est due, comprenant :

  • les frais normaux de déménagement et de réinstallation (sauf si le bailleur établit que le locataire ne se réinstallera pas dans un autre local pour exploiter son fonds de commerce) ;
  • les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de commerce de même valeur ;
  • l’indemnité de la perte de gains pendant le temps nécessaire à la réinstallation du locataire ;
  • l’éventuelle indemnité de licenciement en cas de rupture des contrats de travail du personnel salarié (uniquement en cas de disparition définitive du fonds ou de réinstallation lointaine).

Le saviez-vous ?

Un bail commercial peut comprendre une clause d’accession au profit bailleur qui lui permet de devenir propriétaire, à la fin du bail, des aménagements réalisés par le locataire à ses propres frais dans les locaux, sans avoir le dédommager.

Même dans ce cas, le locataire évincé doit être indemnité des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d’aménagements et équipements similaires à celui qu’il est contraint de quitter.

Frais accessoires. Le locataire peut aussi, sous réserve de justifier d’un préjudice à ce titre, obtenir une indemnité pour perte sur stock, pour indemnités de licenciement de salariés dont il est alors contraint de se séparer, etc.

Attention ! L’indemnité d’éviction ne peut pas comprendre :

  • le prix du matériel, mobilier et droits incorporels (ils restent la propriété du locataire évincé) ;
  • l’acquisition d’un nouveau pas-de-porte ;
  • les aménagements et travaux réalisés dans le local (ils sont la propriété du bailleur) ;
  • les impôts dus au titre des plus-values ;
  • le préjudice subi par le sous-locataire, en cas de sous-location.
  • les frais de dépollution qui incombe légalement au locataire qui exploite une activité sur le site d’une installation classée pour la protection de l’environnement.

Calcul de l’indemnité. Il n’y a pas de méthode de calcul pour évaluer le fonds de commerce. Les juges se basent souvent sur les résultats d'exploitation, et notamment sur le chiffre d'affaires des 3 dernières années. Si la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur du fonds, en raison, par exemple de la situation exceptionnelle du local, l’indemnité d’éviction sera alors égale à la valeur de ce droit au bail.

Négocier le montant de l’indemnité. Pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction, le bailleur et le locataire sont totalement libres. Si ces derniers n’arrivent pas à trouver un accord, le montant de l’indemnité d’éviction est fixé par le juge.

Pour la petite histoire. Un bailleur refuse de renouveler un bail et propose une indemnité d’éviction au locataire. Une négociation s’ouvre alors sur le montant de cette indemnité. Mais au cours de cette négociation, le locataire vend son fonds de commerce. L’acquéreur prend acte du congé et reprend la négociation du montant de l’indemnité d’éviction à son compte. C’est alors que le bailleur baisse significativement le montant de l’indemnité proposé. Il explique à l’acquéreur que le montant de l’indemnité comprend, en autre, la réparation du « trouble commercial » résultant de l’éviction. Or, l’acquéreur, selon lui, ne peut pas prétendre à l’indemnisation de ce trouble, ayant acheté le fonds de commerce en sachant qu’il avait refusé le renouvellement du bail au précédent locataire. A tort, pour le juge : le nouvel acquéreur du fonds de commerce a droit à la réparation du trouble commercial que lui cause l’éviction.

A noter. Le préjudice est évalué au jour du départ effectif du locataire qui a 3 mois, à partir du versement de l'indemnité, pour libérer le local. Tant que l'indemnité ne lui a pas été versée, il ne peut pas être contraint de quitter les lieux. En contrepartie de ce « droit au maintien dans les lieux », il doit verser au bailleur une indemnité d’occupation, dont le montant correspond, en général, au loyer. Si le bailleur ne respecte pas le droit du locataire de se maintenir dans les lieux en attente du paiement de l’indemnité d’éviction, une indemnité spécifique peut être réclamée par le locataire au titre de ce préjudice.

Une indemnité d’occupation « plafonnée » ? Le juge a récemment rappelé que la règle de plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé mais ne s’applique pas à l’indemnité d’occupation due par le locataire qui s’est maintenu dans les lieux après l’expiration du bail.

Et en cas de démembrement de propriété ? Si le bien fait l’objet d’un « démembrement de propriété », c’est à dire que sa propriété est divisée entre un « usufruitier » (qui jouit du bien et en perçoit les revenus) et un « nu-propriétaire » (qui peut disposer du bien, sans en percevoir les revenus), alors seul l’usufruitier est tenu de verser l’indemnité d’éviction au locataire.

Le saviez-vous ?

L’indemnité d’éviction ne comprend pas l’indemnisation du préjudice né de la perte du droit au maintien dans les locaux loués.

En cas de refus de versement de l’indemnité d’éviction. La Loi prévoit 2 cas permettant de ne pas verser d'indemnité d'éviction :

  • en cas de motif grave et légitime justifié (défaut de paiement de plusieurs loyers, refus de procéder aux réparations locatives, mise en location-gérance illicite, etc.) ;
  • en cas de preuve avérée de l'état insalubre et dangereux de l'immeuble ; le bailleur n'est pas tenu au paiement de l'indemnité si la preuve est apportée :
    • que l’autorité administrative a déclaré insalubre l'immeuble (il doit être totalement ou partiellement démoli) ;
    • que l’immeuble ne doit plus être occupé sans danger en raison du péril.

Dénégation du statut des baux commerciaux. Un bailleur peut délivrer un congé sans offrir d’indemnité d’éviction à son locataire en lui déniant l’application du statut des baux commerciaux. Pour cela, il faut que le locataire ne remplisse pas les conditions légales, nécessaires à l’application du statut des baux commerciaux. Juridiquement, cela s’appelle une « dénégation du statut des baux commerciaux ».

Attention à la formulation du bail. Il a été jugé qu’un bailleur refusant de renouveler le bail commercial de son locataire est tenu de lui verser une indemnité d’éviction même si celui-ci n’est pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés au moment de la délivrance du congé, dès lors qu’il est clairement et expressément stipulé dans le contrat que le bail est soumis au statut des baux commerciaux même si toutes les conditions pour cela ne sont pas remplies.

Et dans le cas de la location d’un terrain nu avec constructions ? Le locataire d’un terrain nu sur lequel il a édifié des constructions ne bénéficie du statut des baux commerciaux que s’il remplit les conditions légales habituelles pour cela. Par conséquent, il ne bénéficie du droit au renouvellement de son bail commercial, et donc de l’indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement, qu’à la condition qu’il soit immatriculé au RCS.

Maintien dans les lieux. Un locataire qui se maintient dans le local loué, au terme du délai prévu au bail commercial, commet une faute qui peut être sanctionnée par la résiliation du bail à ses torts et la perte de son droit à une indemnité d’éviction.

Le saviez-vous ?

En cas de reconstruction de l'immeuble, le locataire a un droit de priorité pour la location d’un nouveau local identique au précédent (même superficie).


Indemnité d’éviction : les aspects fiscaux

Aspects fiscaux pour le locataire. L’indemnité d’éviction bénéficie du régime des plus-values car elle est destinée à compenser le transfert de propriété ou la perte d’éléments d’un actif immobilisé (le droit au bail). Cette indemnité est alors considérée comme un prix de cession, susceptible alors de générer une plus-value (ou une moins-value) professionnelle.

Mais. Cependant, la fraction de son montant qui représente les frais de déménagement du preneur, et de réinstallation de son entreprise, tous les frais d’acte et droits de mutation, constituent une recette d’exploitation.

Aspects fiscaux pour le bailleur. L’indemnité d’éviction est considérée par l’administration fiscale comme une charge déductible :

  • lorsque son montant « n’est pas exagéré » ;
  • si elle ne contribue pas à un accroissement de la valeur de l’actif immobilisé de l’entreprise du bailleur.

Exemple 1. L’indemnité d’éviction n’est pas considérée comme une charge déductible si elle correspond au prix d’acquisition du fonds de commerce lorsque le bailleur reprend l’activité, ou encore si elle est versée pour favoriser la vente de l’immeuble (elle est alors assimilée au prix de revient de l’immeuble).

Exemple 2. L’indemnité d’éviction versée par le bailleur est admise en déduction des recettes brutes lorsqu’elle est considérée comme une charge engagée en vue de la perception du revenu (l’indemnité versée au locataire a pour objet de libérer les locaux en vue de les relouer immédiatement dans de meilleures conditions).

Exemple 3. L’indemnité d’éviction n’est pas admise en déduction lorsqu’elle présente le caractère d’une dépense personnelle engagée en vue de la réalisation d’un gain en capital. C’est le cas lorsque le bailleur reprend ses locaux pour les motifs suivants :

  • vendre les locaux libres de toute location ;
  • démolir les locaux ;
  • transformer les locaux en logements d’habitation.

A retenir

Le bailleur est en droit de refuser de renouveler le bail commercial à son locataire, mais il doit alors lui verser une indemnité d’éviction (sauf en cas de motif grave et légitime justifié ou en cas de preuve avérée de l'état insalubre et dangereux de l'immeuble). Cette indemnité emporte des conséquences juridiques et fiscales. Il faut notamment savoir, qu’à l’égard du locataire, elle peut être imposée comme une plus-value.
 

J'ai entendu dire

Le bailleur peut-il revenir sur sa décision de refus de renouvellement ?

Oui, le bailleur bénéficie d'un « délai de repentir » : il peut revenir sur sa décision et accorder le renouvellement dans un délai de 15 jours après que les tribunaux aient définitivement fixé le montant de l'indemnité d'éviction en cas de litige. Il faut cependant que le locataire occupe toujours les lieux et n'ait pas déjà loué un autre local…
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Sources
  • Article L 145-14 du Code de commerce
  • Article 13-1 du Code général des impôts
  • BOI-BIC-PDSTK-10-30-20-20160302
  • BOI-BIC-CHG-20-10-20-20160203
  • BOI-RFPI-BASE-20-20-20140214
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 17 novembre 2016, n°15-19741 (préjudices compris dans l’indemnité d’éviction)
  • Arrêt du Conseil d’Etat, du 8 juillet 2005, n° 253291 (dépense personnelle engagée en vue de la réalisation d’un gain en capital)
  • Arrêt du Conseil d’Etat, du 25 janvier 1967, n° 66560 (reprise du local pour le vendre libre de toute location)
  • Arrêt du Conseil d’Etat, du 21 février 1944, n° 69684 (reprise du local en vue de le démolir)
  • Arrêt du Conseil d’Etat, du 12 février 1969, n° 72918 (reprise du local en vue de le transformer)
  • Arrêt de la Cour de Cassation, 3ème chambre civile, du 22 septembre 2016, n° 15-18983 (indemnité pour perte sur stock)
  • Arrêt de la Cour de Cassation, chambre commerciale, du 12 janvier 2017, n° 15-25939 (indemnisation au titre des frais de réinstallation)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 5 octobre 2017, n° 16-21977 et n° 15-25018 (maintien dans les lieux-pas d’indemnité d’éviction)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 7 décembre 2017, n° 15-12452 (réparation du trouble commercial-nouvel acquéreur du fonds de commerce)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 30 novembre 2017, n° 16-17686 (réparation de la perte du droit au maintien dans les locaux loués)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 22 mars 2018, n° 17-15830 (pas d’indemnité d’éviction-mise en location-gérance illicite)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 13 septembre 2018, n° 16-26049 (frais de réinstallation et clause d’accession au profit du bailleur)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 28 mars 2019, n° 17-17501 (non-réinstallation du locataire évincé qui part à la retraite-remboursement des frais de réinstallation)
  • •Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 19 décembre 2019 n° 18-26.162 (indemnité d’éviction due par l’usufruitier)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 9 octobre 2019, n° 18-14729 (indemnité d’éviction et sous-location)
  • Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 23 janvier 2020, n° 19-11215 (statut des baux commerciaux pour le locataire d’un terrain nu sur lequel il a édifié des construction)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 28 mai 2020, n° 19.15001 (NP) (droit à l’indemnité d’éviction du locataire non-immatriculé au RCS si le bail le prévoit)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 9 juillet 2020, n° 18-25329 (le bailleur a le droit d’exercer son droit de repentir pour éviter d’avoir à régler l’indemnité d’éviction à son locataire)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 17 juin 2021, n° 20-15296 (la règle de plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé mais ne s’applique pas à l’indemnité d’occupation due par le locataire qui s’est maintenu dans les lieux après l’expiration du bail)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3e chambre civile, du 13 octobre 2021, n° 20-19340 (l’indemnité d’éviction doit prendre en compte la valeur du droit au bail du locataire, qui n’est pas nulle même si celui-ci a, dans le cadre de sa réinstallation, pris en location un local dont le coût locatif s’avère inférieur au loyer des locaux dont il a été évincé)
  • Arrêt de la Cour de cassation, 3e chambre civile, du 22 juin 2022, n° 20-20844 (indemnité d’éviction et frais de dépollution)
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